"Musiciens du silence", huile sur papier, de Judicaël
Judicaël expose en l'église de Saint-Louis en l'Île, du 16 mars au 1er avril, ses encres et ses huiles.
Je m'étais dit en découvrant ce dessin qui illustre l'évènement, qu'un de ces soirs sur les grandes orgues de l'église un concert serait donné avec des oeuvres muettes, où l'interprète méditerait devant ses claviers et son pédalier en gardant silencieusement les mains dans le dos et les pieds repliés. Il serait permis toutefois d'applaudir bruyamment.
Pour ne rien vous cacher, j'ai été tenté de classer cette artiste parmi ces provocateurs qui, à défaut de talent, voguent sur la vague du temps présent, sur le jeunisme ambiant, et se font les apologistes des tags ou graffiti qui défigurent nos villes et coûtent chaque année en France aux contribuables la bagatelle de 100 millions d'€ pour leur nettoyage .
Découvert dans un restaurant du quartier : un amoncellement de tags, présentés et encadrés comme une oeuvre d'art ! (photo VlM)
Le promoteur de l'exposition m'en a dissuadé. "Venez à l'exposition pour voir l'ensemble des oeuvres, parlez avec l'artiste et faites votre article ensuite".
Je m'y suis rendu et j'ai découvert que ces "musiciens du silence" sont une multitude de déclinaisons d'un visage d'enfant qui vont du chérubin angélique au démon dont les traits épais et bouffis, maculés de sang, disent l'horreur d'un spectacle dont il est témoin.
En compulsant l'iconographie de l'artiste, on réalise qu'elle est hantée par la vision de corps entassés dans un désordre qui témoigne autant de la cruauté des bourreaux que de leur absence totale de respect pour ceux qu'ils ont supprimés. On pense évidemment à l'holocauste, mais c'est dit nulle part.
Dans un autre genre, Judicaël ouvre l'éventail de ses talents et nous offre des encres, plus classiques, sur le thème des portes et fenêtres de Venise.
Venise : fenêtre avec balcon et ferronnerie
Ainsi va l'art. Une amie professeur d'arts plastiques me disait récemment : "en peinture, tout a été inventé". C'est sans doute le cas également en musique et peut-être en littérature. Aussi est-on tenté de qualifier d'art toute forme d'expression qui permet à l'individu de "dire" quelque chose, dans n'importe quel langage, pourvu qu'il y ait des gens pour s'en émouvoir.
J'ignore combien d'entre nous seront sensibles à ces oeuvres et à son auteur. Je reconnais en toute franchise que, dans cette salle d'exposition attenante à l'église, en présence de l'artiste qui explique son art avec passion, enveloppé d'une musique sotto voce qui diffuse Parcifal ou Tristan, même si je continue à m'interroger sur le caractère singulièrement provocateur d'une partie de la collection, cette visite a été et restera un moment fort de ma journée.
Gérard Simonet
Commentaires
2 réponses à “Musiciens du silence, peintres de l’invisible : où s’en va l’art ?”
et voici du moins d’où provient le titre:
« Sainte
À la fenêtre recélant
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou mandore,
Est la Sainte pâle, étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre et complie :
À ce vitrage d’ostensoir
Que frôle une harpe par l’Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange
Du doigt que, sans le vieux santal
Ni le vieux livre, elle balance
Sur le plumage instrumental,
Musicienne du silence. »
Stéphane Mallarmé
Nous qui avons du tapage de nombreux soirs, je militerai volontiers pour « La Parade du Silence », un peu à la manière de la superbe ballade de Simon et Garfunkel: « Silence is golden, golden… » Pas sûr que celà plaise à un organisateur des « Etats Généraux de la Nuit » de la Mairie de Paris!Mais ce serait de l’Art!