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Étiquette : Parisland fête Marais Paris

  • « ParisLand », un nouveau parc d’attraction ?


    AB Un aperçu du défilé de la "zombie walk" du 3 octobre à Paris

     

     

    Nous avons reçu cet article de Jean-François Bayart, directeur de recherches au CNRS et journaliste du site Médiapart, qui reflète un certain ras le bol que ressentent bien des habitants du Marais et des parisiens plus généralement. Nous avons souhaité le publier car il exprime ce que nous ne cessons de souligner dans nos articles : Paris mérite autre chose que de devenir une ville de fêtes !

     

    "Du Carreau du Temple au musée Picasso, de la place de la République à celle de l’Hôtel de Ville, de Nuits blanches en Fashion Weeks et autres Food Trucks et Zombie Walk, il se confirme que la municipalité a décidé de transformer Paris en nouveau parc d’attraction, avec le soutien résolu de Laurent Fabius, ministre du Tourisme (et des Affaires étrangères), et d’Emmanuel Macron, ministre des Zones touristiques internationales et des autocars libres. Certes, Anne Hidalgo prétend défendre ses prérogatives en la matière. Mais on voit mal en quoi sa politique diffère de celle que préconisent les chantres du tourisme de masse, décidés à lui livrer la capitale. Surtout maintenant que Airbnb se résigne à payer la taxe de séjour due par les hôteliers.

     

    ABPizzeria sauvage installée sur une place de stationnement résidentiel, « réquisitionnée » sans aucune autorisation, rue du Perche, le samedi 3 octobre, à 19h30 (Photo JFB)

     

    Ni les uns ni les autres, en tout cas, ne se soucient de l’avis des premiers concernés par (et des premières victimes de) la transformation de la Ville-Lumière en village du Club Med. A savoir les habitants, exposés au tapage nocturne et à la saleté, aux encombrements humains, à la flambée de l’immobilier sous la pression des locations saisonnières illicites et des investissements étrangers spéculatifs, mais jamais consultés, sinon par le truchement de conseils de quartier noyautés par les entrepreneurs de la nuit et sans pouvoirs réels, ou par le biais de médiations et autres consultations bidons organisées par de bien coûteux "Pierrots de la Nuit".

    Je ne peux m’empêcher, à ce propos, de relater la conversation surréaliste que j’ai eue avec une membre du conseil du quartier des Archives qui recueillait les opinions des habitants sur un certain nombre de projets. Personnellement opposé à la piétonisation, fût-elle partielle, de la rue des Coutures-Saint-Gervais – projet qui prépare naturellement sa piétonisation intégrale, conformément aux souhaits du Musée Picasso, ce qui consacrerait la suzeraineté de celui-ci sur l’îlot – je me suis entendu dire que je ne pouvais pas voter contre, mais seulement pour… Spécialiste des régimes autoritaires en Afrique, je n’avais jamais rencontré une conception aussi sublime de la démocratie, surtout à prétention participative. Et, comme je m’en étonnais et attirais l’attention de notre conseillère sur le ras-le-bol des riverains du musée Picasso, elle m’a rétorqué qu’elle n’était pas le bureau des plaintes. Passons…

    AC La rue des Coutures Saint-Gervais privatisée (Photo JFB)

     

    Le plus irritant est que la transformation de Paris en parc d’attraction et en shopping hall se targue de préoccupations écologiques, quitte à supprimer les transports publics, comme la ligne du 29 dans le Marais pendant sa piétonisation le dimanche.

    Voici, à titre d’exemple, ce qu’a donné la Journée sans voiture, dont s’auto-congratule la mairie, pour un Parisien lambda qui ne pouvait obéir à l’assignation aux loisirs. Devant, pour des raisons professionnelles, prendre le Thalys de 16h01 afin de me rendre à Liège, en ce bon dimanche du 27 septembre, et ayant observé que les autobus circulaient normalement, je suis allé chercher, à 15h, boulevard Beaumarchais, le 65 qui devait me conduire Gare du Nord. Boulevard désert, comme il se devait, emprunté par des bicyclettes, par des deux-roues motorisés (eh oui, Journée sans voiture, pas sans moteur !), et par des taxis. Mais, au bout de 15mn, force me fut d’admettre que d’autobus il n’y avait point, bien que la RATP n’eût apposé aucune affiche signalant une suspension du service.

    Je me suis donc résolu à héler un taxi. Parvenu place de la République, j’ai compris l’absence des bus : celle-ci était à nouveau occupée par un amusement public et, une fois de plus, interdite de circulation, y compris celle des nombreuses lignes de bus qui la traversent. Mon taxi a été dévié vers le boulevard Voltaire, d’où il s’est engagé dans le boulevard Henri IV afin de rejoindre la Gare du Nord en contournant République. Las ! Le quai de Valmy était lui aussi fermé à la circulation, sans avertissement préalable, et le flot des voitures était détourné vers l’Hôpital Saint-Louis – à vrai dire était bloqué dans les petites rues le jouxtant puisque le serpent se mordait la queue, les véhicules étant renvoyés vers… République !

    J’ai donc dû quitter le taxi (10 euros dépensés en pure perte, mais une petite contribution à la pollution) et partir en courant avec ma lourde valise. Il était 15h35. Escalade des escaliers du pont enjambant le canal au son d’un orchestre techno triomphant, course vers les Recollets en me frayant un passage à travers les attroupements de badauds, franchissement de la Gare de l’Est, arrivée en nage et le cœur battant (heureusement que je m’étais entraîné le matin en faisant mon jogging) à 15h50, pour découvrir que le Thalys de 16h01 ne verrait son quai affiché qu’à 16h, ce qui bien entendu lui a valu le retard désormais rituel d’un bon quart d’heure. Tel est l’ordinaire d’un Parisien.

     

    ADUne fête place de l'Hôtel de Ville

     

    Nos élus croient-ils que nous le supporterons longtemps ? Ne seraient-ils pas avisés, du strict point de vue de leurs intérêts personnels, de comparer Paris avec Barcelone non pas seulement sous l’angle de la vie nocturne, mais également sous celui des résultats électoraux qui ont consacré la victoire d’une candidature indépendante sur la base d’un programme d’endiguement de l’industrie touristique ? Les écologistes ne devraient-ils pas abandonner leurs querelles intestines le temps de nous expliquer par quel miracle la défense de l’environnement passe-t-elle par la suppression des transports publics ? Et M. Macron, qui s’est érigé en maire de Paris pour y dessiner les Zones touristiques internationales soumettant leurs habitants à un régime dérogatoire préjudiciable à leur tranquillité et à leur santé, peut-il nous dire pourquoi la libéralisation des autocars et du travail le dimanche suppose-t-elle la restriction de la circulation des autobus ?

    Loin de moi l’idée de mener une charge politicienne contre la majorité municipale, dont le bilan est loin d’être négligeable, en particulier en matière de transports publics et de logement. Mais celle-ci semble prise au piège d’une fuite en avant, à laquelle n’échappe nullement son opposition, et que dicte l’air du temps : travailler plus, s’amuser plus, gagner plus d’argent, et en dépenser moins, en tout cas quand il s’agit de l’argent public, c’est-à-dire du service public avec ses transports, ses équipements culturels, ses établissements de santé. Ce faisceau d’attentes (ou d’injonctions) contradictoires conduit inexorablement à la privatisation et à la marchandisation des biens communs : au premier chef, à la privatisation et à la marchandisation de l’espace public – voire de l’espace privé d’autrui, grâce à la magie des décibels –, du repos hebdomadaire et de la nuit, cette dernière dimension de la vie qui échappait au capitalisme1.

    Pour les habitants du Marais, la Nouvelle Frontière d’une capitale transformée en parc d’attraction au service du tourisme de masse, dans l’espoir de réduire le déficit du commerce extérieur, se traduit par leur sujétion à l’équation absurde d’Hidalgo-Macron : travailler le dimanche sans transports publics ni repos nocturne (ou diurne) tout en se conformant à la nouvelle obligation civique, celle de la fête, de jour comme de nuit. Cherchez l’erreur.

    NB : A l’heure où j’écris cet article, en ce samedi 3 octobre, et dans l’attente de la Nuit blanche, la rue des Francs-Bourgeois est fermée à la circulation pour cause de défilé festif et sans doute marchand, à grand renfort de décibels montés sur roue, et le trafic du 29, reliant le quartier à deux gares, est de nouveau suspendu."

    Jean-François Bayart

     

  • A la fin des années 30, la destruction du Marais était déjà d’actualité….

      Beautreillis 6 portail 05 04 14Le Portail de l'hôtel Raoul, seul vestige encore en place de la bâtisse rue Beautreillis (IVe) (Photo VlM) 

      

    Les vacances d'été sont propices à la lecture et à la découverte d'écrits intéressants. Une amie m'ayant offert un livre intitulé "Destruction de Paris" écrit par Georges Pillement et paru chez Grasset en 1944,  je me suis plongé dans ses 17 chapitres relatant les destructions envisagées à Paris dès avant la guerre, afin de moderniser les différents quartiers de la capitale. 

    En 1925 déjà, Le Corbusier avait dévoilé le plan Voisin qui proposait de raser une bonne partie du Marais pour y faire construire de grandes tours d’habitations.

    Le chapitre X consacré au Marais est dénommé "Menaces sur les quartiers Saint-Paul et Saint-Gervais démolition de l'ilôt 16".  Il fait allusion à deux projets e modernisation défendus l'un par la Ville et l'autre par deux architectes repris dans la revue "Architecture" de  décembre 1940. Le quartier étant qualifié d'insalubre la solution proposée est de la raser en ne conservant que les églises  Saint-Gervais- Saint-Protais et Saint-Paul-Sant-Louis ainsi que  2 voire 3 hôtels particuliers, l'hôtel de Sens, l'hôtel de Beauvais, l'hôtel de Châlons- Luxembourg et l'hôtel d'Aumont. L'auteur ajoute que 300 millions de francs de crédits sont déjà votés, que l'on n'essaie même pas de savoir "si cette amputation peut être évitée". Il dénonce aussi la volonté des architectes en charge du dossier de mettre en avant, afin de justifier  les destructions, leur souhait d'élargir à tout prix toutes les rues du quartier.

     

    Photographie du début du XXème siècle de la Voussure de l'Hôtel du maréchal d'Estrée 8 rue Barbette (IIIe)

     

    Georges Pillement s'insurge et écrit, en rappelant  toute notre histoire qui transparaît au détour des rues,  que "Paris ne sera bientôt plus qu'une ville neuve et banale, avec ça et là des nécropoles de souvenirs" en citant notamment le Square Georges Cain (IIIe) où sont entreposées de vieilles pierres récupérées lors de démolitions passées.

    L'auteur reprend rue après rue, qu'il s'agisse des rues des Nonains-d'Hyères, Geoffroy-l'Asnier  ou de l'Hôtel de Ville, les immeubles remarquables en ajoutant qu'il "serait imbécile de les démolir". Il s'insurge contre le dégagement souhaité de l'hôtel de Sens, alors en restauration, qui consisterait à raser des maisons très anciennes. Nous savons malheureusement ce qu'il en est advenu. Il rappelle  à ce propos de douloureuses démolitions telles que l'hôtel  du maréchal d'Estrées rue Barbette, celle  de l'hôtel Le Pelletier de Morfontaine 20 rue Sainte Croix de la Bretonnerie, le couvent de la rue des Guillemites ou l'hôtel d'O rue des Francs Bourgeois dont les derniers vestiges venaient juste d'être enlevés.

    Évoquant la réhabilitation du Marais, l'auteur indique en guise d'introduction " une des plus nobles parures de Paris,  un des rares  ensembles qui nous reste, après tant de démolitions inutiles, après tant de massacres barbares… Ces hôtels du Marais sont un des attraits les plus sûrs de Paris auprès des touristes, je parle des vrais, de ceux qui ne se contentent pas de voir l’opéra et la Tour Eiffel avant de courir les boîtes de nuit… Il faut qu'un plan d'ensemble permette de restaurer et de dégager les plus beaux hôtels."

    Propos prémonitoires quand nous savons tous ce qu'il est advenu ensuite mais intéressants aussi, en particulier sur les touristes !

    Dominique Feutry